A qui on a beaucoup donné…

Note de marchés de Jean-Marie Choffray

La situation doit être extrêmement grave pour que Roger Cukierman (Le Figaro, 15 mai 2015), président du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF), appelle courageusement juifs et chrétiens à refuser la logique de la guerre des religions et à ne pas céder au piège que tend la violence… Il évoque l’effroyable martyre des chrétiens d’Orient qui se déroule dans « une indifférence qui finit parfois par ressembler à de la complicité. » « Frères dans la douleur », il exprime au nom de la communauté juive organisée son amitié, son affection et « la plus totale, la plus infaillible solidarité. »

Dans un article paru le même jour sur « L’ignorance religieuse ou l’impossible laïcité », Laurent Stalla-Bourdillon note que vivre une laïcité respectueuse, exige d’apprendre « à poser un diagnostic rationnel sur la nature humaine et à reconnaître son incontournable soif d’infini ». Et, il observe que « l’indice de tolérance humaine baisse avec la pauvreté… »

Pour le modeste universitaire que je suis, la question, me semble-t-il, n’est pas de savoir si une intelligence supérieure nous a, dans un acte de pure bonté, insufflé la vie…, mais bien d’accepter qu’une telle intelligence puisse être et qu’elle l’ait fait pour celles et ceux qui le croient et dont la vie cherche à en être le reflet. Mieux que le pari de Pascal, Jean d’Ormesson, écrit dans Un jour je m’en irai, sans en avoir tout dit (Paris : Robert Laffont, 2013) : « Il n’est pas exclu, je suis si faible et si bête, que je me sois trompé et que vous n’existiez pas. Parce que mon rêve aura été beau et qu’il m’aura empêché de sombrer dans l’absurde et dans le désespoir, parce que, légende ou réalité, vous m’aurez fait vivre un peu au-dessus de ma bassesse inutile, je n’en bénirai pas moins votre grand et saint nom. »

Personnellement, je ne me sens pas suffisamment « coupable » que pour rejeter toute possibilité de devoir rendre des comptes à plus sage et plus intelligent que moi. Après tout, ne sommes-nous pas déjà jugés de notre vivant par nos proches : membres de notre famille, amis, ennemis, collègues, et… étudiants ? Dans l’Egypte ancienne, nous rappelle Bossuet dans son Discours sur l’histoire universelle, aussitôt qu’un homme était mort, on l’amenait en jugement. « Si l’accusateur public prouvait que la conduite du mort avait été mauvaise, on en condamnait la mémoire, et il était privé de la sépulture. Ainsi, chacun, touché de l’exemple, craignait de déshonorer sa mémoire et sa famille… »

N’en déplaise aux apôtres de la décroissance et autres rêveurs d’absolu, de tous temps, la misère, au sens économique du terme, a été la mère de bien des malheurs et de bien des violences. Pourtant, dans le monde ouvert que nous connaissons, chacun pourrait, par l’application de son intelligence et le déploiement de ses talents personnels, contribuer à en réduire l’ampleur et l’incidence. Mettre les marchés au service du beau, du bien, et du bon n’est pas nécessairement illusoire ni utopique. Cette possibilité nous est réellement offerte… Et si le résultat n’est, bien sûr et fort heureusement, pas assuré, le mérite n’est-il pas d’abord dans le courage d’oser ? Quant au succès, à la reconnaissance, aux remerciements et autres décorations, « Who cares ? »

Ainsi, à qui on a beaucoup donné, peut-être ? sera-t-il un jour beaucoup demandé…

Note : cette Note de marchés ne peut, ni ne doit, être considérée comme formulant, ou suggérant, le moindre conseil d’achat ou de vente de quelque produit financier que ce soit. Son seul objet est d’émettre un point de vue, et de le partager avec la communauté des investisseurs sceptiques, seuls responsables de leurs décisions.

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