Complexité sur les marchés financiers

 

Complexité sur les marchés financiers

Prof François Longin

Je souhaitais vous faire part de ma dernière publication Complexité sur les marchés financiers publiée dans l’ouvrage collectif Complexité et Organisations édité par Edgar Morin et Laurent Bibard, et publié aux Editions Eyrolles. Cette publication résulte des travaux de recherche menée au sein de la Chaire Edgar Morin de la complexité à l’ESSEC Business School.

Comment appréhender la complexité des marchés financiers ? Cette contribution présente trois méthodes pour approcher la complexité des marchés financiers : l’approche statistique avec la théorie des valeurs extrêmes, l’approche historique fondée l’études des crises passées et l’approche de simulation.

Les approches statistique et historique permettent à leur manière de dégager des faits stylisés qui se répètent au cours des crises. L’approche de la simulation avec la plateforme SimTrade permet de comprendre en profondeur les décisions financières prises par les individus et les mécanismes des marchés financiers.

L’approche statistique avec la théorie des valeurs extrêmes

La théorie des valeurs extrêmes s’intéresse aux valeurs minimales et maximales d’un processus aléatoire comme le prix des actions cotés sur les marchés financiers (les booms et les krachs).

Selon le poids des queues de distribution, on obtient une loi de Weibull (absence de queue), une loi de Gumbel (queue fine) et une loi de Fréchet (queue épaisse). Ces distributions sont représentées ci-dessous.

img_SimTrade_Distribution_valeurs_extremes

De nombreux travaux académiques ont montré que la théorie des valeurs extrêmes appliquée aux marchés financiers donnait une loi de Fréchet (avec des queues épaises impliquant uen porprtion non négligeable de booms et de krachs). Ces résultats empiriques sont très stables que l’on s’intéresse aux actions individuelles, aux indices d’actions, aux taux de change ou d’intérêt, aux prix des matières premières, etc. Ce résultat est en outre stable au cours du temps ainsi que selon la fréquence utilisée pour mesurer les rentabilités (journalière, hebdomadaire, mensuelle).

L’approche historique avec l’étude des crises passées

Dans son ouvrage Manias, Panics and Crashes : A History of Financial Crises , Charles Kindelberger propose une anatomie des crises financières en cinq étapes : changement, boom, euphorie, crise et répulsion.

  • Le changement

L’élément déclencheur de la crise est un changement survenant dans l’environnement, un choc : une innovation technologique, une évolution réglementaire (comme celle qui, dans les années 1920, a permis d’emprunter pour acquérir des actions), un événement politique, etc. Ainsi, la crise de 2007 s’explique par la volonté politique de rendre les Américains propriétaires de leur habitation, associée à une période de taux d’intérêt très faibles et à des innovations financières relatives aux produits structurés de crédit.

  • Le boom

La seconde étape, celle du boom, se circonscrit aux professionnels. Elle se traduit par une hausse des prix et un recours élevé au crédit soit pour financer l’économie, soit pour alimenter la spéculation boursière.

  • L’euphorie

Dans un troisième temps, le phénomène du boom s’étend au grand public, aux investisseurs individuels. La hausse des prix s’accélère de façon exponentielle. Il devient alors difficile de liquider les positions. A cela s’ajoute un discours médiatique d’un optimisme dépassant la réalité, qui alimente la tendance haussière et renforce son caractère exponentiel.

  • La crise

Quand point la crise, les professionnels et les initiés sont les premiers à vendre leurs positions. Puis un événement déclencheur, pouvant être mineur, affecte la confiance et induit un renversement des anticipations. S’ensuit une vague de vente panique par les spéculateurs et les investisseurs individuels, corrélée à une absence totale de liquidité.

  • La répulsion

Une étape de répulsion survient enfin, les médias relayant cette fois un discours négatif et recherchant des coupables (songeons à Bernard Madoff pour la crise de 2007-2008). Pour éviter un effondrement de l’économie, les forces centrales interviennent comme prêteurs en dernier ressort.

Les 5 étapes d’une crise financière

img_SimTrade_Etapes_crise_financiere

L’approche de simulation

Au-delà des approches historique et statistique, j’ai contribué à l’élaboration d’une troisième approche qui, en s’appuyant sur des simulations, se propose d’entrer dans une compréhension profonde des phénomènes financiers. Elle prend forme dans l’outil pédagogique SimTrade.

Avec les simulations, SimTrade permet de vivre en quelques minutes une journée de trading sur les marchés financiers. L’internaute-trader (« le SimTrader ») dispose d’une plateforme de trading pour acheter et vendre des actions, et un modèle mathématico-financier simule de façon réaliste le comportement des autres traders avec lesquels il échange. Les entreprises émettrices d’actions sont également simulées, les événements qu’elles traversent ayant un impact sur les marchés. SimTrade tire son originalité de la simulation complète qu’il propose, recouvrant aussi bien les marchés que les entreprises. Il se distingue en cela des autres outils de simulation, incomplets, où les ordres sont fictifs mais portent sur les actions d’entreprises bien réelles. Dans ces outils, les ordres n’ont d’impact sur les marchés. C’est au contraire le cas avec SimTrade.

SimTrade a été modélisé pour tenir compte de la complexité des marchés financiers, ces derniers étant des lieux de rencontres physiques ou virtuels entre acheteurs et vendeurs. La modélisation de l’activité des traders intègre leurs motivations (un besoin de liquidité, une réactivité à l’information économique ou financière…) et leurs stratégies, ainsi que les caractéristiques des ordres. Ces derniers sont agrégés dans une plateforme de trading. Ainsi les transactions se traduisent-elles par des prix et des volumes.

L’algorithme de simulation (dit de Monte Carlo) qu’utilise SimTrade repose sur une suite de nombres dont le premier terme est appelé la « graine » de la simulation. Or — et cela renvoie explicitement à la pensée de la complexité —, une modification minime de cette « graine » peut entraîner une fluctuation des cours de grande ampleur, tel un battement d’ailes de papillon susceptible de déclencher une tornade à l’autre bout du monde. Autre effet de la complexité, le gain d’un trader peut résulter certes de la pertinence de sa stratégie, mais aussi des interventions d’autres traders ayant eu dans le même temps des impacts sur le marché.

Les simulations SimTrade utilisent à la base un générateur de nombres aléatoires. Ces nombres aléatoires sont par exemple utilisés pour simuler le nombre d’ordres passés par les SimTraders ainsi que les différents paramètres de ces ordres (sens, quantité, type, etc.).

Techniquement, le générateur de nombres aléatoires utilisé repose sur un algorithme linéaire congruentiel :

   Un = a✕Un-1 + b (mod m)

Cette relation de récurrence permet de calculer U1 à partir de U0, puis U2 à partir de U1, … et Un à partir de Un-1.

Le terme initial, U0, n’est pas calculé mais choisi. Ce terme initial est appelé la graine (seed en anglais).

Le paramètre a est un coefficient multiplicatif, le paramètre b est un coefficient additif et le paramètre m est le modulo. Pour rappel, l’opération mod donne le reste de la division euclidienne d’un nombre entier par un autre. Par exemple, 13 mod (5) est égal à 3 car 13 = 2✕5 + 3.

Considérons un générateur de nombres aléatoires congruentiel défini par le jeu de paramètres suivant : a = 10, b = 37, m = 251 et U0 = 17.

   Un = 10✕Un-1 + 37 (mod 251)

Le tableau ci-dessous détaille le calcul des cinq premiers nombres simulés.

img_SimTrade_Tableau_simulations

Les générateurs de nombres aléatoires utilisés en pratique utilisent des nombres plus grands pour a, b et m. Quelques jeux de paramètres courants :

   a = 1664525, b = 1013904223 et m = 232

   a = 31167285, b = 0 et m = 248

Les nombres aléatoires U0, U1, U2, …, Un-1, Un sont compris entre 0 et m-1. Utilisés dans le cadre d’un modèle, ces nombres aléatoires sont ensuite transformés pour être compris entre 0 et 1 (division par m-1) et correspondre ainsi à des nombres aléatoires tirés d’une loi uniforme sur l’intervalle [0, 1].
Exemple

Pour simuler les ordres d’un trader, il faut notamment simuler le sens de cet ordre : achat ou vente. On supposera que l’on souhaite que le trader achète dans 40% des cas et qu’il vende dans 60% des cas. Pour cela, on simule d’abord un nombre entre 0 et m-1 avec le générateur congruentiel. Disons que l’on obtient 37 et que m est égal à 251. Puis, on transforme cet entier en un nombre compris entre 0 et 1. On obtient 0.148 (=37/250). Si ce nombre est inférieur à 0.40, alors on décidera que le sens de l’ordre simulé est l’achat (ce sera bien le cas dans 40% des cas). Si ce nombre est supérieur à 0.40, alors le sens de l’ordre est la vente (ce sera bien le cas dans 60% des cas). Comme 0.148 est inférieure à 0.4, l’ordre simulé sera donc un ordre d’achat.

Illustration de la complexité des marchés

Les figures ci-dessous représentent l’évolution du marché pour la simulation Passer un ordre obtenue en faisant légèrement varier la graine de l’algorithme de simulation : U0 = 122, U0 = 123 et U0 = 124 (un simple battement d’ailes de papillon).

Evolution du marché simulé avec une graine U0 = 122.

Graine_122

Evolution du marché simulé avec une graine U0 = 123.

Graine_122

Evolution du marché simulé avec une graine U0 = 124.

Graine_122

On observe qu’en faisant légèrement varier la graine de l’algorithme de simulation utilisé pour simuler le marché, l’évolution du marché pendant la journée de trading varie fortement. Le cours de bourse et le volume de transaction est très différent d’une simulation à l’autre.

Complexité marchés financiers

 

Giovanni Pagliardi: awarded research on financial markets

On April 12, 2016, Giovanni Pagliardi (PhD student at ESSEC Business School) was awarded the first prize of the public for the Comue Paris-Seine at the French national contest “My thesis in 180 seconds”. This contest is organized once per year by the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) and is open to all PhD students in France across all disciplines: it aims at spreading research conducted by PhDs in French institutions to the general public.

Four candidates have been selected to participate to the final for the Comue Paris-Seine: Giovanni, PhD candidate in Finance at ESSEC Business School Paris, two engineers and a chemist. They were assigned 3 minutes each to explain their research topics and findings to the general public and to a jury comprising academics and journalists who were however not in their fields. Each of the finalists was allowed to make use of one and only one slide: any teaching material or presentation tool had been forbidden.

The assessment of the finalists hinged on 3 main criteria. First, oratorical talent and skills in public speaking. Second, how impactful the research is for the whole society and how the candidate is able to convey the message concerning this relevance to the general public. Last but not least, the ability to explain in a concise and simple way technical topics without losing the intellectual value of the research ideas and their applications to everyday life.

This final has represented a wonderful moment both for the candidates and the public. On the one hand, the public could listen to very different topics and learn about the new findings put forward by the young researchers. In particular, they could realize how important research is and how the latter can be useful to address and try to solve some problems that impact our everyday life. This final has once more underscored that research can serve the whole society and that new advancements can indeed improve the quality of life for all people.

On the other hand, the finalists had the opportunity to spread their research to a large audience. In addition, they benefited from several collective and individual training sessions with a specialized Professor who helped them improve their skills regarding the aforementioned evaluation criteria: stage presence, oratorical qualities, conciseness, ability to synthesize information and ability to effectively convey technical topics to people who are not necessarily expert in that particular field.

After all the presentations, the public has been asked to vote for one candidate. Giovanni received the highest number of votes and was therefore awarded the first prize of the public for his presentation of the joint paper with Prof. François Longin about the tail return-volume relationship in the US stock market.

After the final, a buffet was offered to all the participants: this was also a very useful and enjoyable moment to share ideas, comments, feedbacks and for networking. This contest has once more highlighted the relevance of research for the whole society and how impactful it can be for our everyday life.

Développer ses intelligences multiples avec SimTrade

 

Le trading est une activité complexe qui fait intervenir à la fois l’intelligence intellectuelle et l’intelligence émotionnelle. SimTrade permet de développer ces deux formes d’intelligence, conditions de succès sur les marchés financiers.

L’intelligence intellectuelle (intelligence logico-mathématique selon Howard Gardner) permet d’analyser des faits et d’en déduire des actions à mettre en œuvre.

Sur les marchés financiers, l’intelligence intellectuelle est nécessaire pour analyser le flux d’information qui influence la valeur et le prix des actifs financiers. L’intelligence intellectuelle met en jeu des calculs pour évaluer l’impact de l’arrivée d’une nouvelle information sur la valeur d’une action. Une méthode couramment utilisée est la méthode d’actualisation des flux financiers (discounting cash flow ou DCF) qui permet de façon rationnelle d’évaluer la valeur fondamentale des actifs. Après l’analyse, il s’agit de déterminer la stratégie de trading à mettre en œuvre : acheter, vendre ou ne rien faire…

L’intelligence émotionnelle recouvre à la fois l’intelligence interpersonnelle (intelligence sociale) qui permet « d’agir et de réagir avec les autres de façon correcte et adaptée », et l’intelligence intra-personnelle (intelligence de soi) qui permet de « se former une représentation de soi précise et fidèle et de l’utiliser efficacement dans la vie ».

Sur les marchés financiers, l’intelligence interpersonnelle est nécessaire pour prendre en compte le comportement des autres participants au marché, la psychologie des marchés. On peut citer à ce sujet l’économiste Keynes, pour qui les prix des actifs financiers ne sont pas déterminés par leur valeur fondamentale mais plutôt par la perception qu’en ont les participants au marché. Il est alors important de comprendre et d’intégrer dans sa vision des marchés financiers ce que les autres participants pensent.

En trading, l’intelligence intra-personnelle est aussi nécessaire pour maîtriser ses émotions dans ses décisions. La finance comportementale a mise en évidence depuis longtemps les biais émotionnels des individus dans leurs décisions financières. Il faut mettre en place une méthode de gestion rigoureuse de ses positions (money management).

SimTrade permet aux SimTraders de développer leurs différentes formes d’intelligence au travers des simulations de marchés et d’entreprises.

Exemples : dans la simulation Tulipmania, on apprendra à surfer sur une bulle spéculative en anticipant les comportements des autres traders. Dans la simulation Condensé d’actions, on essaiera de profiter de son information privée en anticipant le comportement des autres participants.

 

Dans toutes le simulations, le SimTrader apprendra à maîtriser ses émotions en gérant le risque de sa position de marché. En pratique, il s’agira de mettre en place des stratégies de stop loss et take profit.

Useful resources

Howard Gardner (1983) Frames of Mind: the Theory of Multiple Intelligence

Wikipedia Théorie des intelligences multiples

SimTrade et la recherche en finance comportementale

Bonjour,

Je reviens vers vous à propos de la simulation Pour l’amour du blé qui peut être jouée actuellement dans le cadre du concours de SimTrading jusqu’au 28 février 2013. La base de données de simulations lancées pendant ce concours sera utilisée dans le cadre d’une recherche sur la finance comportementale.

La simulation Pour l’amour du blé

Dans cette simulation, vous savez ce qui va se passer à l’avance ! L’entreprise Blé de France a répondu à l’appel d’offre de McD Fast food (un géant de la restauration rapide) pour la fabrication des petits pains pour les burgers. Le résultat de l’appel d’offre doit être annoncé d’ici la fin de la journée. Et vous connaissez déjà le résultat de l’appel d’offre !

Si l’entreprise Blé de France remporte l’appel d’offre, cela se traduira par des profits substantiels et, d’après le consensus de marché, le cours de l’action devrait s’établir aux alentours de 120 euros. Dans le cas contraire, l’entreprise Blé de France restera soumise aux aléas de la conjoncture (peu favorable) et le cours de l’action devrait s’établir aux alentours de 80 euros.

Au début de la journée, le cours de l’action est de 100 euros et vous savez que l’entreprise Blé de France remportera l’appel d’offre et donc que le cours de l’action grimpera vers les 120 euros d’ici la fin de la journée.

Comment allez-vous utiliser votre information privilégiée ? Quelle stratégie de trading allez-vous mettre en oeuvre ? Telle est la question…

Recherche en finance expérimentale

Les simulations lancées par les SimTraders permettront de mieux comprendre le comportement des individus en termes de décisions financières. Plus particulièrement, la simulation Pour l’amour du blé mettra en évidence comment les individus construisent leur stratégie de trading, la façon dont ils intègrent l’information et gèrent l’incertitude.

De nombreux travaux se sont déjà penchés sur cette question. On peut en particulier citer les travaux pionniers de Peter Kyle Continuous Auctions and Insider Trading publié dans la revue Econometrica (1985). Kyle s’intéresse à l’utilisation d’une information privilégiée de façon optimale. On pourra aussi lire mes travaux sur l’asymétrie d’information en période de volatilité publiés dans Review of Financial Studies (1997). Ces travaux ont d’ailleurs inspiré le modèle mathématico-financier de SimTrade pour la simulation réaliste des marchés financiers.